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Bible de Lefèvre d’Etaples, 1530.

Le fonds ancien de la Bibliothèque compte quelque 400 éditions de la Bible entière, plus de 200 de l’Ancien Testament, autant du Nouveau.

L’Église de Rome ne reconnaissait d’authenticité qu’à la Vulgate, la version latine de la Bible établie par saint Jérôme. La Réforme s’en écarta. Comme elle se proposait un retour à la pureté fantasmée des sources, et donc aux langues originales des textes sacrés (l’hébreu pour l’Ancien Testament, le grec pour le Nouveau), et qu’elle se donnait pour tâche leur traduction en langue vernaculaire et leur diffusion au plus grand nombre par le biais de l’imprimé, il n’est pas étonnant de voir proliférer dans une bibliothèque fondée par les premiers pasteurs de l’Église de Genève les éditions originales intégrales ou partielles de la Bible dans les 3 langues sacrées, l’hébreu, le latin et le grec, et de multiples traductions dans des langues modernes, à côté des versions savantes (d’hébreu en grec ou en latin, et de grec en latin). L’humanisme a suscité un double mouvement d’établissement du texte sacré par une collation minutieuse des manuscrits les plus anciens et d’affinement de la traduction pour la rendre à la fois plus fidèle à l’original et plus accessible au lecteur et à le lectrice.

Les Bibles polyglottes présentent en colonnes sur une même page les différentes versions anciennes de la Bible (a minima en hébreu, en grec et en latin) pour en permettre la comparaison et aider les savants à reconstituer et à interpréter le texte et la pensée des auteurs sacrés. La Bibliothèque de Genève conserve la première Bible polyglotte, éditée par l’Université d’Alcalá de Henares, près de Madrid, entre 1514 et 1517, l’édition d’Anvers (1569-1572), celle de Londres (1657), qui ne comprend pas moins de 9 langues, dont le syriaque, l’arabe, l’éthiopien et le persan, celle d’Élias Hutter (1599), sans oublier l’ouvrage dont ces travaux s’inspiraient, les Hexaples d’Origène, soit le texte hébreu de l’Ancien Testament et ses différentes versions grecques, sur 6 colonnes (1713). Il ne manque que la Bible polyglotte de Paris (1645).

En parcourant les rayons, il est possible de retracer une généalogie des versions françaises de la Bible, de la pré-Réforme à la fin du XIXe siècle. Chaque nouveau traducteur fait fond sur le travail de ses prédécesseurs et tente de mettre leurs versions au goût du jour en en rajeunissant le style et le vocabulaire. La première traduction française de la Bible complète (1530) est due à l’humaniste Jacques Lefèvre d’Étaples (v. 1450-1536). Elle est appelée Bible de Lempereur, du nom du libraire-imprimeur anversois qui la procura. Comme elle a été faite sur la Vulgate, les protestants la considèrent comme catholique. La première véritable Bible protestante en français (1535), dont le Nouveau Testament est préfacé par Calvin, est l’œuvre de son cousin Pierre Robert Olivétan (v. 1506-1538). Elle fut un échec commercial en raison de son grand format et de ses caractères gothiques, au moment même où la lettre ronde s’imposait partout en Europe, sauf en Allemagne. Elle connut tout au long du siècle plusieurs révisions successives. La première fut l’œuvre d’Antoine Marcourt et de Jean Morand: il s’agit de la célèbre Bible à l’Épée (1540), première Bible française éditée en caractère romain. Suivent la première révision calvinienne de l’ensemble de la traduction d’Olivétan (1546), la révision de Robert Estienne (1553), première Bible en français dont les versets soient numérotés; ensuite, la Bible de Genève, revue par le même Robert Estienne, Calvin et Bèze (1560); enfin, la version révisée collectivement par les pasteurs et professeurs de Genève (1588), éditée en 3 formats et tirée à plus de 10 000 exemplaires, qui fit autorité dans le domaine francophone protestant jusqu’à la Révolution française, et connut plusieurs rééditions. Les versions qui suivirent la mirent tour à tour à la page. Le premier, le pasteur genevois Jean Diodati (1576-1649) s’attela à la tâche (1644), mais ses collègues de la Compagnie ne virent pas d’un bon œil qu’on fît concurrence à la Bible de Genève. Samuel Des Marets et son fils Henry lui emboîtèrent le pas (1669). Leur traduction est un des chefs-d’œuvre typographiques des imprimeurs hollandais Elzevier. La traduction de David Martin (1707) fut rééditée jusqu’au milieu du XIXe siècle. Elle fut à son tour d’abord révisée par Pierre Roques (1736), puis par le pasteur biennois Samuel Scholl 10 ans plus tard. La version du Neuchâtelois Jean-Frédéric Ostervald (1744) connut plus de 40 rééditions avant d’être détrônée par la version de Louis Segond (1874).

Les versions de théologiens protestants qui rompent avec l’orthodoxie calviniste et s’affranchissent du «texte reçu» ne manquent pas non plus à l’appel, qu’il s’agisse de l’arminien genevois Jean Le Clerc (1703) ou de Charles Le Cène (1741), proche des doctrines de Claude Pajon sur la providence et la grâce. Mentionnons encore en passant 58 traductions du psautier en vers métriques, en plus du splendide psautier latin de Lefèvre d’Étaples (Quincuplex Psalterium).

Les confessions n’ont jamais été si cloisonnées que traducteurs protestants et catholiques ne se lisent et pillent mutuellement. On ne sera donc pas surpris de trouver sur nos rayons plusieurs traductions françaises catholiques, faites sur la Vulgate, qu’il s’agisse de la Bible des docteurs de Louvain (1613) ou de celle de René Benoist (1566) – dont la version s’inspire des Bibles genevoises –, voire de la Bible de Port-Royal, traduite par Lemaistre de Sacy, qui connut une grande fortune puisqu’elle tint longtemps le rôle de vulgate des catholiques francophones, et dont la Bibliothèque possède plusieurs éditions.

Quant aux versions catholiques du Nouveau Testament, la version de l’oratorien Denis Amelotte (1688), qui concurrença la traduction de Port-Royal, dite Nouveau Testament de Mons (1667), précède celles du jésuite Dominique Bouhours (1698-1703), de Richard Simon, appelée Nouveau Testament de Trévoux (1702), et du bénédictin mauriste Jean Martianay (1712). Voici enfin les révisions de la Bible de Louvain par François Véron (1647) – qui le premier revendiqua pour les catholiques le droit à la libre lecture des textes sacrés –, par Antoine Girodon (1703) et par l’abbé Michel de Marolles (1649).

Parmi les autres traductions en langue vernaculaire figurent 2 des 3 traducteurs allemands de la Réforme – Luther (1535) et Johannes Fischer, dit Piscator (1728); il ne manque que la Bible zurichoise de Zwingli. Pour l’italien, la traduction d’Antonio Brucioli, revue par Filippo Rustici (1562), réfugié à Genève, précède celle du pasteur genevois Jean Diodati, première véritable Bible protestante en italien (1607). Traduite de l’hébreu et du grec, elle reste la principale version actuelle de la Bible en italien. La traduction anglaise imprimée par Rowland Hall est pour sa part connue sous le nom de Geneva Bible (1560).

Parmi les 22 Bibles hébraïques (équivalent de l’Ancien Testament protestant), on ne trouvera certes pas la première édition complète, imprimée à Soncino en 1488. En revanche, voici les éditions de Johannes Buxtorf (1619), de Van der Hooght (1705), de l’oratorien Charles-François Houbigant (1753) et de Benjamin Kennicot (1776), qui compare les différentes versions existantes du texte hébreu.

Des 90 Bibles latines, 16 sont des incunables, que suivent les versions latines de Robert Estienne (1540), de l’hébraïsant italien Sante Pagnini, faite directement sur l’hébreu, dans les rééditions de Michel Servet (1542) et de François Vatable (1545), les éditions de Léo Jud (1544), de Sébastien Castellion (1554) et de Sébastien Münster (1534-1535 et 1546).

Pour le grec, on compte une douzaine d’éditions de la Septante, la plus ancienne et la plus importante des versions grecques de l’Ancien Testament, réalisée à Alexandrie entre 250 et 130 av. J.-C. à l’intention des juifs hellénisés, ainsi baptisée parce que 70 savants, selon la légende, y auraient collaboré. Le Nouveau Testament en grec n’est pas en reste, puisque la Bibliothèque en conserve 58 éditions différentes. Voici la première édition séparée avec sa traduction littérale en latin, le Novum Instrumentum d’Érasme (1516), et quatre de ses rééditions du XVIe siècle, l’édition de Robert Estienne (1546), imprimée avec les fameux «grecs du Roi», dont les poinçons furent gravés par Claude Garamond d’après l’écriture du calligraphe crétois Ange Vergèce. La troisième édition de ce Nouveau Testament grec (1550), qui marque la naissance de la critique textuelle, valut à Robert Estienne la censure des théologiens de la Sorbonne et le contraignit à se réfugier à Genève, où il emporta son matériel typographique, la même année. On trouve encore les 5 éditions du Nouveau Testament gréco-latin de Théodore de Bèze, formidable travail philologique de mise au point de plus en plus rigoureuse du texte grec et de correction de la Vulgate, dont les annotations de plus en plus fournies forment un véritable manuel de théologie et d’exégèse réformées.

Les fonds comportent certes quelques lacunes. Parmi les traductions françaises, on chercherait en vain la Bible historiale de Jean de Rély (1496), la première Bible française de Louvain (1550) ou la version française de Castellion (1555), sans surprise vu que l’auteur s’était brouillé avec Calvin en 1545 déjà et que sa version fut rejetée tant par les protestants que par les catholiques. Toujours est-il que cet ensemble très cohérent offrait un instrument de premier ordre aux théologiens genevois, tout comme il continue de le faire aux chercheuses et chercheurs contemporains.

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