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ZOÉ

OU L’AVENTURE

Zoé ou l’aventure vous raconte l’histoire des éditions Zoé. En publiant le travail de près de 400 auteurs et autrices – de Nicolas Bouvier à Elisa Shua Dusapin – la maison d’édition genevoise a su s’imposer avec passion et audace dans le paysage éditorial francophone. Les archives de la maison, aujourd’hui conservées par la Bibliothèque de Genève, offrent un éclairage inédit sur l’épopée de cette ambassadrice de la littérature suisse. Une histoire marquée de succès littéraires en Suisse et ailleurs, d’innovations et de découvertes. Offrez-vous un voyage au cœur d’archives vivantes du premier ouvrage imprimé en 1975 dans un garage aux grands prix de littérature.

1975

DE LA MISÈRE
EN MILIEU ÉTUDIANT

Un texte clandestin et influent, voilà un choix typique d’éditeur. Il sort des presses des éditions Zoé en janvier 1975, complété par un choix de graffiti des années 1968. C’est le premier livre imprimé par Marlyse Pietri et Xavier Comtesse, les deux fondateurs, sur la grande presse offset, dans un garage. La maison d’édition publie trois ouvrages cette année-là, puis Xavier Comtesse quitte la petite entreprise, et l’année suivante trois femmes rejoignent Marlyse Pietri: Arlette Avidor, Sabina Engel et Michèle Zurcher. Elles ont entre 26 et 29 ans et s’occupent de toutes les étapes de la fabrication d’un livre:

«Tout, du choix du texte à sa reliure, en passant par la composition et l’impression, se déroulait dans un même endroit». Quand on travaille pour cette maison d’édition, il faut tout faire de A à Z, il n’y a pas de hiérarchie ni de division du travail. Au lancement de cette «utopie», les temps sont durs, Michèle Zurcher s’en va au bout de trois ans, puis en 1983, après huit ans, Sabina Engel et Arlette Avidor quittent l’entreprise. Marlyse Pietri sera l’image et la voix de Zoé jusqu’à ce qu’elle passe le flambeau à Caroline Coutau en 2011.

«L’étudiant est fier d’acheter,comme tout le monde, les rééditions en livres de poche d’une série de textes importants et difficiles que la ‹culture de masse› répand à une cadence accélérée […]
À cet effet,on ne saurait trop recommander la solution,déjà pratiquée par les plus intelligents, qui consiste à les voler.»

TEXTE ÉCRIT PAR DES SITUATIONNISTES SOUS LE COUVERT DE L’ANONYMAT

1978

PIPES DE TERRE ET
PIPES DE PORCELAINE

Luc Weibel recueille au moyen d’un magnétophone les souvenirs de Madeleine Lamouille, femme de chambre dans une famille de l’aristocratie vaudoise, puis dans une maison bourgeoise de Genève dans les années 1920–1940. Coup de maître: le livre est un véritable best-seller. Au moment de sa parution, cette œuvre s’inscrit dans une démarche nouvelle, celle de donner la parole aux personnes privées jusque-là de récit.

Maîtriser le processus de production d’un livre, de sa fabrication à sa diffusion, est une préoccupation dont on retrouve la trace dans les archives. On ne compte plus les corrections de textes, les mises en page, les maquettes et les propositions de couverture des œuvres publiées. Les multiples essais de couverture de l’édition de « Pipes de terre et pipes de porcelaine » (1978) témoignent de cette période expérimentale.

«Monsieur B. m’a engagée.
Il m’a dit ‹Nous avons déjà une bonne qui s’appelle Madeleine. On vous appellera Marie›.
J’avais dix-neuf ans.»

MADELEINE LAMOUILLE
(LIVRE PUBLIÉ PAR LUC WEIBEL)

1985

LE CONVOI DU COLONEL FÜRST

C’est à l’éditeur qu’incombe la tâche de trouver la couverture qui accrochera l’œil au premier regard: montage photo? Dessin? Illustration? Le style retenu ne doit révéler ni trop ni trop peu de l’œuvre à lire, d’où l’importance de la maquette. L’image de couverture initiale représente des moutons au bord de la mer. Dans cette fiction couronnée pour son originalité, où se mélangent l’irrationnel, l’étrangeté et l’incertitude exprimées par l’emploi du subjonctif, le narrateur, muet, accompagne le convoi de la femme défunte du colonel Fürst auprès d’un infirmier hypothétique qui pourrait la ressusciter.

Le voyage donne le vertige dans un univers où les moutons à tête noire sont déterminés à diriger une carriole capricieuse qui prend vie. La couverture de l’édition originale sera finalement ornée d’une étude, conservée au Musée de Soleure et réalisée en 1908 par Ferdinand Hodler pour son décor monumental à l’Université d’Iéna Le départ des étudiants de Iéna en 1813.

 

«Le sac contenant la femme du colonel, la morte, était maintenant complètement coincé et dissimulé
par la remorque dont la réaction première avait été de se coucher en travers de la piste, de telle façon
que les quatre moutons du premier palier s’étaient affaissés contre la remorque, pour éviter que l’attelage ne se rompît et que les segments de fil de fer ne déchirassent leurs cous.»

JEAN-MARC LOVAY

1985

LA SUISSE AUX QUATRE LANGUES

La question de l’identité culturelle de la Suisse, ce petit pays aux multiples langues nationales, est l’un des fils que ne cessent de tirer les éditions Zoé depuis leur création, principalement par une politique de traduction de textes helvétiques qu’elles font ainsi connaître au monde francophone. Dans La Suisse aux quatre langues, ouvrage savant paru en 1982 en allemand et sorti des presses genevoises en 1985, sept éminents spécialistes, conduits par le dialectologue Robert Schläpfer, interrogent les traditions linguistiques qui ont fait et font encore la Suisse et les menaces qui pèsent sur elles.

L’écrivain Nicolas Bouvier, auquel Zoé fait très souvent appel pour trouver une image de couverture parmi ses vastes collections iconographiques, choisit quatre cartes de jass, un loisir importé par des mercenaires suisses au service de l’étranger, qui s’impose au 19e siècle comme le jeu le plus populaire en Suisse, mais qui connaît plus de 50 variantes locales: une illustration de l’unité dans la diversité.

«À défaut de comprendre la langue des autres, on peut chercher à mieux la connaître.»

ROBERT SCHLÄPFER

1994

LES CHEMINS DU HALLA SAN

MiniZoé: cette collection de petits livres d’auteur·e·s suisses au format carte postale est idéale à lire pendant une pause ou un voyage. La collection s’arrête en 2015 avec la publication du 100e livre (« Lettre à Bernard Grasset » de C. F. Ramuz), après avoir mis au jour, entre autres, des ouvrages de Corinna Bille, Charles-Albert Cingria, Jean Starobinski ou Sylviane Dupuis. Nicolas Bouvier, figure incontournable du récit de voyage, lance la collection en 1994 avec Les Chemins du Halla San.

Cette magnifique ascension du volcan Halla San, situé sur l’île coréenne Chedju, mène l’auteur à la découverte de l’histoire de ce pays et lui donne l’occasion de vivre une expérience singulière. La Bibliothèque de Genève est doublement liée à la famille Bouvier: elle conserve les archives de Nicolas Bouvier et le père de ce dernier, Auguste Bouvier, fut directeur de l’institution de 1953 à 1959.

«Si on ne laisse pas au voyage le droit de nous détruire un peu, autant rester chez soi.»

NICOLAS BOUVIER

2003

LE TERRITOIRE DU CRAYON. MICROGRAMMES

Admiré par ses contemporains des années 1910 et 1920, Robert Walser ne bénéficie d’une véritable reconnaissance publique que bien après sa mort, survenue dans un hôpital psychiatrique du canton d’Appenzell en 1956. Il est l’un des auteurs suisses que les éditions Zoé ont le mieux défendus, leur catalogue ne comptant pas moins d’une trentaine de titres dont Walser est l’auteur ou le sujet, plusieurs étant encore édités en 2024.

Les microgrammes sont peut-être les témoi- gnages les plus révélateurs du destin de son œuvre. Rédigés sur des bouts de papier, avec une écriture cursive microscopique, ils ont longtemps été considérés comme indéchiffrables. Zoé a publié en 2003 Le territoire du crayon: proses des microgrammes, accompagné en 2004 d’un album qui en restitue le texte, le contexte et la matérialité.

«J’aimerais avoir établi que cette petite rédaction, brève et mince il est vrai, mais qui vagabondera peut-être jusque dans les régions du savoir, je l’écris en costume du dimanche, s’il n’est pas plus conforme à la vérité de dire: sur mon trente-et-un.»

ROBERT WALSER

2004

L’ANALPHABÈTE

Les éditions Zoé défendent la littérature. Il n’est pas surprenant qu’elles aient inscrit dans leur catalogue Agota Kristof, une écrivaine pour qui l’écriture revêt un caractère existentiel:«Pour supporter la douleur de la séparation, il ne me restera qu’une solution: écrire», affirme-t-elle dans l’autobiographie qu’elle fait paraître à l’automne de sa vie chez les éditrices de Carouge. Agota Kristof a fui sa Hongrie natale en 1956, à l’âge de 21 ans, avec un bébé de quatre mois et le père du nourrisson.

Elle est finalement logée dans le canton de Neuchâtel, un hasard administratif qui ne sera pas sans conséquence. Elle peine à apprécier la Suisse, mais elle choisit la langue de son pays d’adoption pour construire l’œuvre qu’elle avait commencée en hongrois. Pourtant, elle considère la langue française comme «ennemie», car elle tue sa langue maternelle. L’Analphabète deviendra un best-seller avec plus de 45000 exemplaires vendus.

«Comment aurait été ma vie si je n’avais pas quitté mon pays? Plus dure, plus pauvre, je pense, mais aussi moins solitaire, moins déchirée, heureuse peut-être. Ce dont je suis sûre, c’est que j’aurais écrit, n’importe où, dans n’importe quelle langue.»

AGOTA KRISTOF

2015

CATHERINE SAFONOFF

1984–2024: 40 ans chez Zoé! Depuis 1984, pas une décennie ne passe sans que Catherine Safonoff publie au moins un livre aux éditions Zoé. L’histoire du couple Zoé-Safonoff est marquée par de nombreuses récompenses, dont le Prix quadriennal de la Ville de Genève (2007), le Prix suisse de littérature (2012) et par la plus prestigieuse d’entre elles: le Grand Prix C. F. Ramuz pour l’ensemble de son œuvre (2015). Zoé aime ses auteurs·autrices, les accompagne, les valorise et les soutient dans leur écriture.

Le parcours de Catherine Safonoff en est certainement un des plus beaux exemples. Dans Réinventer l’île, Anne Pitteloud, journaliste et critique littéraire au quotidien Le Courrier, analyse les 30 premières années d’écriture de l’autrice. Des contradictions aux repères biographiques en passant par ses thématiques récurrentes (l’intime, la famille, l’argent, l’amour), l’examen est minutieux.
La critique est suivie d’un entretien entre les deux femmes.

«Pourquoi B. détestait-il tellement que je lise ou écrive? Comme si c’était une maladie, ou une chose interdite. Parce qu’on part, part vraiment, loin, ailleurs, et devient intouchable.»

La Fortune, 2024, Catherine Safonoff

 

RÉINVENTER L’ÎLE,
CRITIQUE APPROFONDIE PAR ANNE PITTELOUD (2017)
CATHERINE SAFONOFF REÇOIT LE GRAND PRIX RAMUZ EN 2015

2016

HIVER À SOKCHO

Zoé fait la promotion de ses auteur·e·s dans la presse, à la radio et à la télévision, sur le Web et les réseaux sociaux et par la médiation, ainsi que par des rencontres avec les écoliers et écolières de Genève. Zoé est dans les salons littéraires, organise des expositions ou des ateliers d’écriture. Pour continuer d’exister, il faut se démarquer et aller chercher le public là où il se trouve. Certain·e·s auteur·e·s deviennent des figures incontournables de la littérature contemporaine et multiplient les apparitions et les collaborations avec les musées, les bibliothèques et les autres institutions culturelles.

Le public découvre ainsi une nouvelle génération récompensée par de nombreux prix de plus en plus prestigieux: Aude Seigne rapporte des chroniques de ses nombreux voyages et explore à travers ses récits les «répercussions intimes» que le monde actuel suscite sur ses personnages; Max Lobe s’inspire de la littérature traditionnelle africaine et de son expérience de l’immigration en Suisse; Elisa Shua Dusapin, primée par le National Book Award en 2021 pour Hiver à Sokcho, traite des problèmes de l’identité, du langage et de la communication; Jérémie Gindre, artiste et écrivain, partage son intérêt pour la géographie et l’histoire en s’appuyant sur des questions de paysage, de cartographie, de géologie, d’archéologie, de folklore ou de tourisme.

«Il n’avait pas le droit de partir. De s’en aller avec son histoire. De l ’exhiber de l ’autre côté du monde. Il n’avait pas le droit de m’abandonner avec la mienne qui se desséchait sur les rochers.»

 

LA JEUNE GÉNÉRATION,
ELISA SHUA DUSAPIN

2019

TOUT CATHERINE COLOMB

Le rôle patrimonial des éditions Zoé dans la promotion de la littérature romande s’illustre par la diffusion d’œuvres complètes, comme celles du poète-photographe Gustave Roud (2022), en quatre volumes, précédées en 2019 de celles de Catherine Colomb, entreprises qui bénéficient d’un large soutien d’institutions publiques et de fondations privées.

Le volume Tout Catherine Colomb réunit l’ensemble de la production littéraire de la romancière vaudoise, de 1911 à sa mort en 1965. Par rapport à la première édition des œuvres complètes, parue en 1993, il offre de nombreux inédits, dont deux romans.

Elle ne se comprend pas elle-même. Elle écrit au hasard, sans plan, sans but. Mais pourquoi comprendre?
Est-ce qu’il ne suffit pas d’aimer ceux qui vivent à vos côtés? La vie… est-ce qu’elle agit conformément à un plan? »

 

 

CATHERINE COLOMB

2021

DANS LA VILLE PROVISOIRE

Classer, conserver et communiquer les archives, tel est le travail des archivistes. Fixer la mémoire et la transmettre aux générations présentes et futures est souvent un travail de longue haleine qui nécessite une immersion dans l’intimité de personnes le plus souvent décédées: prendre connaissance de leur vie professionnelle et privée au moyen de documents officiels, de textes ou de journaux intimes, découvrir leur entourage et les liens créés au fil du temps à travers leurs correspondances, recenser et documenter leurs œuvres publiées ou inédites au moyen de notes et de manuscrits qui jalonnent leur création.

Cette démarche a pour résultat la publication d’inventaires qui nous font découvrir les richesses des fonds d’archives. Dans son œuvre, Bruno Pellegrino fait souvent référence au traitement difficile, parfois ingrat des archives. Dans son roman, le narrateur doit inventorier l’œuvre d’une traductrice célèbre. Il s’imprègne progressivement des objets qu’elle a abandonnés en quittant son appartement situé dans une ville cernée par l’eau. Peu à peu, il se substitue à la traductrice «jusqu’à emprunter ses gestes et ses pensées».

«Elle [la traductrice] constituait des dossiers dans lesquels se trouvaient des coupures de presse, des images, des entrées de dictionnaire photocopiées, des fleurs séchées et des cartes à jouer. J’étais souvent tenté de jeter les choses que je ne savais pas où classer.»

 

 

BRUNO PELLEGRINO

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