VIOLLET-LE-DUC
À SAINT-PIERRE
Découvrez l’histoire d’un monument majeur de Genève
Au cœur de la Vieille-Ville, la chapelle des Macchabées est l’une des parties les plus emblématiques de la cathédrale Saint-Pierre de Genève. Élevée au cours des XIVe et XVe siècles, elle est le premier édifice en style gothique flamboyant de Suisse. La chapelle est reléguée durant la Réforme au statut d’entrepôt avant d’être entièrement restaurée au XIXe siècle. Les plans architecturaux et les photographies d’époque, conservées au Centre d’iconographie de la Bibliothèque de Genève, documentent son histoire. Sur ces images, on y découvre notamment les plans du plus célèbre des architectes-restaurateurs français Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc.
L’accrochage « Viollet-le-Duc à Genève » est visible dans le Couloir des coups d’œil de la Bibliothèque de Genève du 15 juin au 12 septembre 2020 et ci-dessous dès maintenant.
Organisation : Bibliothèque de Genève
Commissaire : Nicolas Schaetti
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L’histoire genevoise du XIXe siècle est mouvementée. Sous domination française de 1798 à 1813, la ville expérimente les institutions de la France révolutionnaire puis celles de l’Empire napoléonien. En 1814-1815, Genève s’émancipe de la France en devenant canton suisse. Le régime réactionnaire qui se met en place sous la Restauration est renversé par deux révolutions, coup sur coup en 1841 et 1846. La nouvelle constitution adoptée en 1847 ne met d’ailleurs pas fin aux antagonismes, en particulier dans le domaine des cultes. La crise religieuse qui éclate avec la guerre du Sonderbund et culmine en 1873 au moment du « Kulturkampf » ne s’apaise qu’après l’adoption, en 1907, de la loi de séparation de l’Église et de l’État toujours en vigueur aujourd’hui.
La manière dont les autorités, durant cette période, ont géré les lieux de culte hérités du passé est particulièrement emblématique de cette histoire. Pour comprendre celle-ci, il faut croiser plusieurs facteurs explicatifs capables de prendre en compte les dimensions institutionnelles (la République doit-elle être laïque?), confessionnelles (quelle place accorder aux catholiques romains?), identitaires (Genève est-elle avant tout protestante?), culturelles (comment conserver et restaurer les églises médiévales?) ou encore esthétiques (quelle forme et quel cadre artistique donner au culte?).
De manière générale, les documents conservés par la Bibliothèque de Genève contribuent utilement à l’intelligence de cette époque, notamment pour comprendre les débats intellectuels qui l’ont traversée. Ce sont, toutefois, les archives publiques, du canton et des communes, qui offrent les principales sources permettant d’écrire cette histoire. Dans ce contexte, le fonds Saint-Pierre, conservé au Centre d’iconographie de la Bibliothèque de Genève, fait donc exception. En raison de son importance, il a été donné au Musée du Vieux-Genève, par l’Église protestante qui l’avait reçu de la Ville de Genève, avec les bienscuriaux, au moment de la séparation de l’Église et de l’État.
Ce fonds est une source irremplaçable pour connaître les transformations qui ont affecté le principal lieu de culte genevois entre le milieu du XVIIIe et le début du XXe siècle, un édifice qui a cristallisé les débats comme aucun autre à Genève.
Nous sommes heureux que l’accrochage du Couloir des coups d’oeil permette au public de (re)voir ou simplement de prendre connaissance d’une sélection de ces documents. Nous avons choisi de présenter parmi les plus beaux, ceux qui illustrent la restauration de la chapelle des Macchabées dans les années 1870-1880 qui a vu notamment l’intervention remarquée de l’architecte français, Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc.
Frédéric Sardet
Directeur de la Bibliothèque de Genève
Benedetto Alfieri, Deuxième projet (non retenu) pour la façade de la cathédrale Saint-Pierre de Genève, 1752 [BGE CIG VG 4002/27]
Benedetto Alfieri, Schéma et détails du chaînage métallique du portique de Saint-Pierre, 1752 [BGE CIG VG 4002/24]
Présentation
La chapelle des Macchabées, élevée entre 1397 et 1405 et réhabilitée de 1878 à 1884, est, à double titre, l’une des constructions majeures du patrimoine architectural genevois. Il s’agit du premier édifice en style gothique flamboyant de Suisse et sa restauration a suscité un débat qui marqua profondément l’histoire du patrimoine à Genève. Si les origines du monument ont pu être reconstituées récemment, malgré des archives pour le moins lacunaires, sa transformation au XIXe siècle, à laquelle a pris part le plus célèbre des architectes-restaurateurs français, Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc, est relativement bien documentée.
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C’est au cardinal Jean de Brogny (vers 1342-1426), né près d’Annecy dans le diocèse de Genève, que l’on doit la fondation, à l’extrême fin du XIVe siècle, de la chapelle collégiale Notre-Dame qui prendra en 1460 le nom de Macchabées. Brogny est alors une personnalité éminente, membre de la cour pontificale d’Avignon puis, dès 1417, à Rome, de l’entourage du pape Martin V. Vice-chancelier de l’Église depuis 1391, il préside le concile de Constance entre 1415 et 1417. Sa position hiérarchique explique qu’il ait pu recevoir, en 1397, l’autorisation du pape Benoît XIII d’implanter, à proximité immédiate de la cathédrale de Genève, un bâtiment aussi imposant et obtenir le droit de fonder un chapitre collégial de douze prêtres pour le desservir. Sa très belle carrière ecclésiastique permet aussi de comprendre comment il a pu réunir les moyens financiers exceptionnels nécessités par une telle entreprise.
La chapelle est destinée à abriter son tombeau, dont la création est confiée à l’artiste d’origine bourguignonne Jean Prindale en 1414. L’architecte n’est pas connu, mais il a été identifié par Marcel Grandjean comme étant Colin Thomas de Dinant, un maître d’oeuvre cité à Genève en 1404 qui sera chargé par la suite de la construction de la cathédrale de Carpentras. Brogny fait encore appel à d’autres artistes-artisans de haut niveau, comme le peintre piémontais Giacomo Jaquerio ou le sculpteur Guillaume du Boes.
À la Réforme, une fois la messe abolie par les autorités en août 1535, le statut des Macchabées change radicalement. L’ancienne chapelle n’est pas retenue pour servir de temple au nouveau culte protestant. Le tombeau de Brogny et le mobilier liturgique sont réemployés, détruits ou vendus. L’édifice sert de dépôt puis est aménagé en 1566 pour abriter l’auditoire de théologie de l’Académie, logé probablement dans les combles. En 1670, les autorités augmentent la surface utile en créant un rez-de-chaussée qui sépare la zone de dépôt des parties hautes de la chapelle désormais accessibles par un escalier extérieur, puis, vers 1765, en subdivisant la nef d’un niveau de plancher supplémentaire.
Le nouvel usage masque et, pour une bonne part, détruit les structures architecturales de la chapelle médiévale. Les qualités de celles-ci ne sont redécouvertes que peu avant le milieu du XIXe siècle, à la faveur du nouvel engouement pour l’art du Moyen Âge qui s’est fait jour à l’époque romantique. L’état des Macchabées est préoccupant depuis plusieurs décennies, au point qu’en 1830, on songe à démolir l’ancienne chapelle. Quinze ans plus tard, c’est le Genevois Jean-Daniel Blavignac (1817-1876) qui est chargé d’établir un projet de restauration. Cet architecte joue un rôle pionnier dans la revalorisation du patrimoine architectural médiéval en Suisse dont il est l’un des premiers à entreprendre l’étude systématique. Dans son oeuvre, les références à l’époque gothique, comme à l’immeuble de la Tour (1859-1862), sont nombreuses. Pour Blavignac, il ne fait pas de doute que le travail aux Macchabées passe par une reconstitution de l’état médiéval préparé par une identification préalable des vestiges conservés. Bien que les transformations qu’il envisage pour la chapelle ne seront pas mises en oeuvre, il est le premier à avoir mis en évidence la richesse de ses décors anciens, notamment en retrouvant sous les badigeons de la voûte des peintures murales représentant un concert d’anges musiciens.
Depuis 1847, la constitution genevoise a confié aux municipalités la gestion des lieux de culte. C’est donc à la Ville de Genève qu’il convient d’entreprendre la restauration de la cathédrale. La chute en France du Second Empire amène en Suisse l’architecte de réputation internationale Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc, qui s’est vu condamné à mort par la Commune de Paris en 1871. S’il pourra par la suite retourner en France, il s’établit principalement à Lausanne où il fait construire une maison et où il est chargé de conduire les travaux de restauration de la cathédrale (1872-1879). En mars 1874, les autorités genevoises lui confient la tâche d’établir un projet de restauration pour les Macchabées. Les dessins qu’il propose sont d’une qualité graphique sans commune mesure avec ce qui est produit à Genève à la même époque. Viollet-le-Duc est fidèle au principe qu’il énonce en 1866 dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française, selon lequel « restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné ». Le modèle qu’il a en tête est la Sainte-Chapelle de Paris. Sur cet exemple, il suggère notamment de munir le monument genevois d’une flèche, dont la réalisation aurait donné une importance disproportionnée à la chapelle. Les propositions de Viollet le-Duc, qui éblouissent par leur inventivité, décontenanceront les autorités, de plus en plus hésitantes. L’architecte finit par renoncer de lui-même. La restauration des Macchabées est reprise par l’architecte Claude Camuzat (1848-1924), qui conduit la rénovation de l’extérieur (1878-1882), puis par l’architecte de la Ville, Louis Viollier (1852-1931), lequel, après l’achèvement des travaux intérieurs aux Macchabées (1885-1888), mènera la restauration de la cathédrale dans son ensemble. Saint-Pierre recevra une nouvelle flèche, inaugurée en 1898, qui n’est pas sans rapport avec celle pensée vingt ans plus tôt par Viollet-le-Duc pour la chapelle du cardinal de Brogny.
L’influence de Blavignac et surtout celle de Viollet-le-Duc restent fortement perceptibles dans le résultat final de la restauration, surtout si l’on tient compte que le décor des parties hautes (garde-corps, fronton et gargouilles) a été simplifié en 1939. Si les innovations les plus discutables, du point de vue de la vérité archéologique, ne sont pas retenues, il s’agit d’une reconstruction totale, avec suppression des transformations postérieures au Moyen Âge et réfection plus ou moins libre des structures et décors gothiques. Les éléments originaux ne sont pour la plupart pas conservés sur place, mais déposés et remplacés par des restitutions, notamment les décors peints des voûtes dont l’exécution est confiée au peintre Gustave de Beaumont (1851-1920). Le résultat sera critiqué par les tenants d’une restauration basée sur les données archéologiques, une opinion qui sera dominante dès le tournant des XIXe et XXe siècles.
La chapelle restaurée est affectée au culte, principalement pour les baptêmes et les mariages, le 23 septembre 1888. À certains égards,sa réhabilitation a ouvert à Genève la réflexion sur ce que pourraient être des formes architecturales et artistiques spécifiquement protestantes. La disposition de l’assemblée perpendiculairement à la nef, la place principale conférée à la chaire et l’importance accordée à un mobilier spécifique (bancs, tables de communion), l’omniprésence de symboles héraldiques « nationaux » et la pose d’une série de vitraux aux thèmes évangéliques ou historiques peuvent être considérées comme des réinterprétations du passé ancien à travers l’héritage pro-testant. La fascination du Moyen Âge semble toutefois l’avoir emporté aux Macchabées sur la sobriété qui sied, pensait-on, à un lieu de culte protestant. De ce point de vue aussi, la restauration de la chapelle sera fortement remise en question dans les décennies suivantes. La leçon des Macchabées sera retenue lors de restaurations menées ultérieurement, comme à la cathédrale, à Saint-Gervais ou à la Madeleine. Ce n’est qu’avec le changement progressif du regard porté sur le patrimoine du XIXe siècle et à l’achèvement d’une nouvelle campagne de restauration, entreprise entre 1976 et 1977, que la valeur de ce monument genevois sera véritablement reconnue.
Nicolas Schaetti
Conservateur responsable de l’unité des collections spéciales de la Bibliothèque de Genève
Fred Boissonnas, Gargouille néogothique au sommet d’un contrefort, vers 1900
[BGE CIG FBB P GE 03 11 19]
Bravo ! Une fantastique série enfin révélée !