La nuit
de l’Escalade
Tradition vivante, l’Escalade est célébrée depuis le 17e siècle par les Genevois-es. Les publications en 1915 de La nuit de l’Escalade et du Siècle de la Réforme en 1917, deux ouvrages illustrés par Édouard Elzingre, ont permis de populariser l’événement et ont notamment influencé les costumes du cortège historique. Cette exposition virtuelle montre les images les plus marquantes de cette fameuse nuit du 11 au 12 décembre 1602. Ah! La belle Escalade!
LES PRÉPARATIFS
Malgré les traités conclus par Henri IV avec le duc de Savoie, Genève craint une attaque savoyarde. Les fortifications sont réparées «partout où elles étaient en mauvais état […] Mais comme l’ennemi ne se montrait pas et que rien ne confirmait les appréhensions, on se relâcha peu à peu de sa vigilance», nous dit Guillot.
On répara les fortifications
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[ BGE CIG VG 1092 01 ]
«Pour mieux endormir les Genevois, [le duc] Charles-Emmanuel leur envoya, au commencement de décembre, Charles de la Rochette, président du sénat de Chambéry, soi-disant pour régler certains litiges […] François Brunaulieu, de Lens, en Picardie, gouverneur de la place forte de Bonne, lieutenant du baron de la Val d’Isère et beaucoup d’autres gentilshommes de la Savoie profitèrent de la présence de M. de Rochette pour se rendre à Genève et parcourir la ville dans tous les sens» (Guillot).
Ils mesurèrent la hauteur des murailles
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 02]
«Le jour qui précéda l’Escalade, nul ne tint compte de l’avis d’un paysan de Chêne, Pierre Brasier […]
Peu après, un cavalier se présenta à la porte Neuve et demanda à parler au capitaine :
– Je vous avise, dit-il, qu’un grand danger plane sur votre cité» (Guillot). Le syndic Philibert Blondel qui ne prit pas en compte l’avertissement fut accusé de trahison et condamné à mort en 1606
Un cavalier se présenta à la porte Neuve
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 03]
Le gouverneur de Bonne en Faucigny et lieutenant du baron de la Val d’Isère Brunaulieu est engagé à l’Escalade du côté savoyard. Selon la tradition, il reçoit l’extrême-onction avant la bataille, signe qu’il est décidé « à réussir ou à ne pas revenir vivant » (Guillot). Il mourra au combat.
Bruneaulieu a reçu les sacrements
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 04]
«Ce n’est pas sans fierté que [le duc Charles-Emmanuel] assiste au défilé de ses bonnes troupes. Voici ses fantassins […] ; voici sa cavalerie […] ; voici surtout les 300 hommes d’élite, désignés pour être les premiers à l’escalade des murs de Genève et dont les cuirasses ont été noircies pour éviter tout scintillement révélateur» (Guillot).
Les troupes ducales quittent Étrembières
Avant-projet à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 05]
L’ASSAUT
«Le projet des chefs savoyards consistait à escalader la muraille [de la Corraterie] entre ces deux points extrêmes, car ils savaient qu’entre le poste du boulevard de l’Oie, ouvrage avancé attenant la porte de Neuve [et situé devant la façade actuelle du Musée Rath], et la porte de la Monnaie, [qui donnait accès au bas de la Cité et aux rues basses], il n’y avait pas de sentinelles […]. Le gros de l’armée fut donc laissé à la Coulouvrenière et à Plainpalais, avec ordre d’entrer par la porte de Neuve dès que celle-ci serait ouverte» (Guillot).
Les Savoyards dressent trois échelles à la Corraterie. Un prêtre, le père Alexandre, encourage les assaillants.
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-191
[BGE CIG VG 1092 09]
«De Sonaz, d’Attignac et six de leurs compagnons gravissent […] le chemin de la Tertasse, pénétrèrent par la porte de ce nom, alors ouverte et dépourvue de garde, dans la Grand’Rue, descendent la Cité, parcourent les rues basses jusqu’au Molard, sans rencontrer personne et reviennent en hâte annoncer que Genève dort et ne se doute de rien» (Guillot).
Ils parcourent les rues basses jusqu’au Molard
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 10]
Brunaulieu se jette sur le caporal
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 11]
Alertés, les Genevois prennent leurs armes pour repousser l’assaillant. Selon l’imagerie la plus commune, ils n’auraient pas eu le temps de s’équiper et auraient combattu pour partie en chemise. Lors des célébrations du 19e siècle, les enfants se déguiseront avec des chemises blanches en souvenir de ce haut fait.
Il faut se lever et prendre les armes
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 12]
L’alarme donnée, les Savoyards doivent sécuriser la Corraterie, où leurs soldats continuent à gravir la muraille, et prendre le contrôle des accès à la ville. Le seigneur Jacques de Chaffardon et quelques soldats s’emparent du poste de la Monnaie, ce qui leur permet d’atteindre le bas de la rue de la Cité, mais ils sont repoussés par les Genevois.
Chaffardon à la tête d’un détachement se jette sur le poste de la Monnaie
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 13]
Une lutte s’engage dans une allée de la rue de la Cité qui s’ouvre par une poterne sur la Corraterie. Abraham de Baptista, «facteur» de Julien Piaget, leur barre le passage avant de mourir. Des renforts permettent de rejeter les assaillants.
Abraham de Baptista barre le passage
Avant-projet et projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 39 18 et VG 1092 19]
Un fait singulier «arriva à Mme Julien Piaget, née Jeanne Baud. Effrayée au bruit des ennemis qui, après avoir tué son commis Abraham de Baptista, envahissaient déjà l’escalier de sa maison grâce à une surexcitation nerveuse qui décuplait ses forces elle parvint à pousser contre sa porte un meuble extrêmement lourd […]. Le lendemain, elle fut incapable de le remuer» (Guillot).
La dame Piaget
Avant-projet à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 39 18]
Catherine Cheynel avait épousé Pierre Royaume, graveur de la Monnaie. «C’est à cause de son emploi que la famille Royaume occupait un appartement dans l’immeuble de la Monnaie, propriété de l’État. Lorsque les Savoyards envahirent la petite place qui est au bas de la Cité, Mme Royaume jeta sur eux tout ce qu’elle trouva sous sa main: des pierres, des outils, un fond de tonneau qui paraît avoir fait merveille, enfin, un lourd pot d’étain qui abattit son homme que la tradition a transformé en marmite pleine de soupe au riz. Ce pot d’étain fut longtemps et pieusement conservé dans la famille Royaume» (Guillot).
La mère Royaume
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 26]
La stratégie savoyarde vise à ouvrir la porte de Neuve, un des trois accès à la ville, par laquelle le gros des troupes attendant à Plainpalais aurait pu s’engouffrer. Le pétardier Picot se prépare à faire sauter les battants de l’ouvrage, mais le Genevois Isaac Mercier réussit à faire tomber la herse qui n’était alors pas baissée la nuit.
Isaac Mercier fit tomber la lourde herse
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 16]
Les Genevois reprennent la porte de Neuve et acculent les Savoyards à la Corraterie. «C’est alors qu’un coup de canon, parti du boulevard de l’Oie, rompit deux échelles et précipita dans le fossé nombre de cuirassiers» (Guillot).
Un coup de canon, parti du boulevard de l’Oie, rompit deux des échelles
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 17-18]
«Les régiments [savoyards en attente à Plainpalais] crurent que ce coup de canon était le signal convenu, et les tambours de battre, les trompettes de sonner comme pour la victoire, au moment même où commençait la déroute de leurs amis» (Guillot).
Les régiments qui attendaient à Plainpalais se mettent en marche
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 21]
Un combat s’engage à la Corraterie durant lequel Bruneaulieu notamment perd la vie. «La plupart de ses compagnons se sauvent en dévalant du haut des murailles au risque de se rompre les membres, ce qui arriva à plusieurs» (Guillot).
D’autres, plus hardis, sautèrent dans le fossé
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 60 1092 21]
À cinq heures et demie du matin, les Genevois-es sont maîtres de la place. «Le canon de la Treille, pointé sur Plainpalais, achevait la déroute de la cavalerie et de l’infanterie ducale» (Guillot). La retraite est sonnée.
Les troupes savoyardes se retirent en hâte et en désordre
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 23]
L’ÉPILOGUE
Selon le Vray discours – un texte genevois paru peu après la bataille dont l’auteur est inconnu, mais qui est généralement attribué à l’auditeur Jean Sarasin – le duc rencontrant d’Albigny après la bataille «ne sceut dire autre, sinon qu’il avoit faict vne belle cacade».
Vous avez fait là une belle cacade
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 25]
Cette vue illustre l’exposition des têtes des soixante-sept soldats, retrouvés morts ou faits prisonniers et exécutés par le bourreau genevois Tabazan ; elles sont exhibées sur le bastion de l’Oie. L’intérêt macabre pour le sort de l’ennemi s’inscrit ici dans une longue tradition. Le sort des vaincus occupe par exemple de nombreuses strophes du Cé qu’è lainô (30-54 et 64).
Les têtes des prisonniers décapités et des victimes savoyardes de l’Escalade
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 29]
Elzingre a réalisé une autre version de l’exécution des prisonniers basée sur le récit des Registres du Conseil: «Outre le nombre des tués sur la place, on en attrapa en vie treize. Le nombre de leurs tués, pendus et blessés, les uns à mort, les autres estropiés rudement se montent à 300, Français reniés et Savoyards […]
Et arresté qu’après qu’ils auront eu l’estrapade pour tâcher de découvrir les traîtres de la ville […] qu’on les pende au boulevard de l’Oie» (Archives d’État de Genève, RC 97, fol. 192-193).
Elzingre pouvait s’appuyer sur une tradition iconographique ancienne qui apparaît à Augsbourg dès 1603, mais se rencontre aussi à Genève au 17e siècle.
La pendaison des Savoyards après l’Escalade
Avant-projet non retenu à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 28]
Selon une tradition ancienne, certainement fautive, Théodore de Bèze, très âgé et sourd, n’aurait pas été réveillé par les combats. Le matin, il se serait écrié «Montons à la maison de l’Éternel» et il «entraîna le peuple après lui, dans la cathédrale, pour remercier Dieu» (Guillot). Les Genevois-es célébrèrent un jeûne solennel le 21 décembre dix jours après l’événement.
Théodore de Bèze entraîne le peuple dans la cathédrale
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 31]
Les 17 victimes genevoises des combats sont ensevelies dans le cimetière de Saint-Gervais et leur tombe porte une épitaphe commémorative, ce qui était contraire aux usages calvinistes. Le cortège funéraire a dû être bien plus discret que celui figuré par Elzingre. Les photographies anciennes de la rue des Corps-Saints ont servi de modèles à l’illustrateur.
Inhumation au cimetière du temple Saint-Gervais des victimes genevoises
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 30]
«Dès le 13 décembre, le Conseil [de Genève] avait réclamé des baillis bernois du pays de Vaud le secours qui avait été promis en cas de danger. Deux jours plus tard, 350 soldats étaient arrivés, accueillis avec joie par toute la population» (Guillot).
Arrivée à Cornavin de 350 soldats bernois
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 33]
Le traité de paix de Saint-Julien, signé le 12 juillet 1603 entre Genève et la Savoie, ouvre une ère de sérénité relative pour la ville. Le duc reconnait implicitement l’indépendance de Genève. «Vers onze heures du matin, M. de Rochette paraît à une fenêtre et s’écrie: ‘Réjouissez-vous, mes amis et louez Dieu! La paix est signée !’ […] Les Savoisiens, si nombreux à Genève, peuvent donc fêter l’Escalade avec les Genevois sans aucune arrière pensée. La tentative criminelle dirigée contre nous fut tramée par les princes, par les diplomates, par les gouvernements: les peuples n’y furent pour rien» (Guillot).
M. de Rochette paraît à une fenêtre
Projet définitif à l’aquarelle et à la gouache, 1908-1913
[BGE CIG VG 1092 32]
Commissaire: Nicolas Schaetti (Bibliothèque de Genève)