Le mois de mars s’est brutalement fermé sur un temps de confinement.
Dehors le printemps s’étale d’autant plus largement que tout se vide et se calme.
Dedans c’est autre chose. Il faut s’arranger avec l’absence, ou composer avec trop de présence.
Cohabitent alors en télétravail des métiers qui parfois s’accordent mal. C’est mon cas.
Dans la pièce au-dessus de moi, des étudiant-e-s perdu-e-s sont guidé-e-s énergiquement et à distance par un flux ininterrompu d’explications qui sourd par le plancher, dégouline en pluie de bruit et torpille toute concentration.
Dans la pièce du dessous, je m’impatiente et la nostalgie du beau silence de la Bibliothèque me tombe dessus.
L’espace se réduit, le temps s’allonge, l’énergie tourne court: je ne parviens pas à travailler. Et je pense à la théorie développée par le génial et joyeux pédagogue Emile Jaques-Dalcroze (1865-1950) que « la forme d’un mouvement dépend des sensations et du rapport entre la force, le temps et l’espace ».
Ce musicien, compositeur et professeur réalise en effet, à l’aube du 20e siècle, qu’avant de comprendre intellectuellement la musique, il faut la vivre par le corps. Il développe alors une méthode fondée sur la perception corporelle de la musique, la rythmique Jaques-Dalcroze, toujours enseignée et objet de nombreuses études se basant sur le vaste fonds manuscrit et photographique conservé à la Bibliothèque de Genève.
Alors que nos corps sont enfermés dans des espaces étriqués et encombrés de sollicitations numériques qui captent attention, temps et énergie, son enseignement nous invite à réfléchir à la forme du mouvement de notre vie.
Complément bibliographique
Dossier Émile Jaques-Dalcroze, in : Passé simple, n° 50, décembre 2019